Start-up, GAFA, NATU, FINTECH, Licorne … un nouvel eldorado ?
Par G.Lécrivain – Lesclefsdumanagement.com – 26 mars 2020
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Start-up, GAFA, NATU, FINTECH, Licorne … un nouvel eldorado ?
Par G.Lécrivain – Lesclefsdumanagement.com – 26 mars 2020
Les start-up sont devenues le nouvel eldorado économique à la mode : terminés les projets de carrière chez Thalès, Danone, Nestlé ou encore L’Oréal … maintenant, un nombre croissant de jeunes diplômés rêve d’un parcours à la Elon MUSK (fondateur de SpaceX et PDG de Tesla motors) ou à laTravis Kalanick (le fondateur d’UBER).
Il est vrai que ces parcours, véritables succès story, en transformant en quelques années de jeunes entrepreneurs en multi-milliardaires, étonnent et interpellent.
Peut-on alors parler de nouveau modèle d’affaires ? … ou de syndrome de Frankenstein avec la création d’une nouvelle économie davantage porteuse de destruction que de création ?
Une nouvelle économie qui submerge et ringardise « la vieille économie »
Durant l’été 2015, le journal économique, Les Echos, annonçait que le Big four constituant les GAFA (Google, Airbnb, Facebook et Amazon) pesait désormais plus lourd que l’ensemble des entreprises cotées au CAC 40 ! La capitalisation de ces sociétés est désormais plus élevée que le PIB de certains pays développés.
En début d’année 2020, Google est devenu le quatrième groupe, après Apple, Microsoft et Amazon à passer la barre des mille milliards de dollars de capitalisation boursière.
Il est vrai que l’unité de mesure pour les GAFA, NATU et autres Licornes est le milliard : des milliards de capitalisation, des milliards d’investissement … mais aussi des milliards d’endettement.
Une nouvelle économie qui submerge et ringardise ce qu’on dénomme désormais « la vieille économie » ; et aucun secteur ne semble à l’abri de cette rupture :
Une nouvelle économie qui menace l’emploi ?
Le débat progrès technique/emploi est aussi ancien que la société industrielle; une société qui est apparue à la fin du 18ème siècle et qui s’est développée au rythme du progrès technique et en particulier des révolutions industrielles.
Chacune de ces périodes de grande croissance fut amorcée par un élan de crainte et de rejet du changement : en Angleterre, terre de naissance de la première révolution industrielle, le mouvement des luddistes (du nom d’un « briseur de machines » Ned LUDD) rejetait en 1811 et 1812 la mécanisation de l’industrie de la laine et du coton par crainte que la machine ne remplace l’homme au travail. Une crainte et un mouvement qui va s’exporter en France un peu plus tard en 1831 avec la révolte des Canuts à Lyon.
Le taylorisme et le fordisme, figures de proue de la seconde révolution industrielle, feront quant à eux l’objet d’une autre forme de procès : celui de l’asservissement et de l’aliénation au travail et de ces « temps modernes » dénoncés par CHAPLIN en 1936 dans son film, satire d’un monde du travail déshumanisé et mécanisé à l’excès.
Des craintes et des procès qui vont être balayés aussi bien par la théorie que par les faits.
La dynamique vertueuse du changement et du progrès technique : le processus de destruction créatrice de Joseph SCHUMPETER
L’économiste autrichien Joseph SCHUMPETER décrivait l’innovation comme un phénomène de « destruction créatrice » : après une première phase se soldant par de la disparition d’emplois, une dynamique vertueuse s’installait ; la généralisation, la diffusion et l’ouverture à de nouvelles applications et innovations (phénomène de « grappes d’innovation »), ouvrait un cycle de croissance.
Dans les faits, un progrès technique qui a très largement dynamisé l’emploi… et transformé le travail
Quelques chiffres :
En fait, plus que la fin du travail, la conséquence première du changement technologique et du progrès technique est la transformation du travail avec des métiers et des manières de travailler qui mutent et se transforment : par exemple, sur ces cinq dernières années dans l’Union Européenne, le nombre de spécialistes des TIC a augmenté d’un million et demi. Ils représentent déjà 3,5 % de l’emploi total.
Une mutation et une transformation du travail propres à chaque grande vague de progrès technique : la transformation des secteurs professionnels amène les salariés privés d’emplois par le progrès technique « à se déverser » dans une autre branche (« Théorie du déversement » d’Alfred SAUVY).
De la « destruction créatrice » à « la création destructrice » … une mécanique qui s’inverse ?
En 1995, dans son best seller « La fin du travail : le déclin de la force globale de travail dans le monde et l’aube de l’ère post-marché« , le célèbre économiste et prédictiviste, Jérémy RIFKIN, annnoncait déjà un « déclin mondial du travail » et l’avènement d’une société duale avec « les gagnants et les perdants du grand jeu high-tech » ( il ne fait toutefois pas le procès des nouvelles technologies, qui, dans le même temps, sont, selon lui la meilleure réponse à la crise climatique et à la fin d’une civilisation fossile qu’il condamne) :
… d’un côté « les gagnants »: le progrès technique induit une une forte progression des emplois qualifiés laissant place à une élite de gestionnaires de l’information.
… et de l’autre, « une majorité de « perdants » : les salariés les moins qualifiés, peu ou pas adaptables condamnés à la précarisation et à des bas salaires.
Même si à court-terme, avec une très forte reprise de l’emploi de 1998 à 2001, les prédictions de RIFKIN ne se sont pas réalisées, on peut légitimement se demander si cette phase ne correspondait pas au premier temps d’un mécanisme de « création destructrice ».
De nouvelles études prédictives annoncent, en effet que d’ici 2025, 3,5 millions d’emplois seront détruits en France en raison de la numérisation de l’économie ; même si cette nouvelle donne créée et créera des activités nouvelles, ces mêmes créations concerneront quasi -exclusivement les emplois qualifiés … au détriment des salariés peu qualifiés (scénario décrit par RIFKIN).
En digitalisant et en désintermédiant des activités traditionnelles, ces nouvelles industries appuient bien davantage leur développement sur le capital numérique que sur le capital humain; ainsi, Airbnb, par exemple, est devenu le concurrent direct du géant de la location hôtelière ACCORD … tout en employant 300 fois moins de personnel ; la tranche d’effectifs de Facebook France sur société.com ne mentionne que 100 à 199 salariés pour un chiffre d’affaires national de près de 390 millions d’euros en 2018 .
A titre illustratif, en juin, 2015, le magazine « Expansion » établissait une comparaison en plaçant en perspective la contribution en emplois des acteurs de l’ancienne et de la nouvelle économie et leur capitalisation boursière … une mise en perspective qui ressemblait davantage à une mise en abîme :
Le côté obscur de la force : une ubérisation, qui, par effet domino, transforme un modèle économique en contre-modèle social et fiscal
Progrès pour le consommateur, l’ubérisation de notre économie apparait toutefois sur le plan social comme une machine à broyer. Il est vrai qu’ubérisation rime avec précarisation : ces entreprises essaiment et sous-traitent le plus souvent la gestion opérationnelle de leurs activités à des indépendants qui ne bénéficient d’aucune protection et qui doivent assumer eux-mêmes leur propre couverture en se déclarant le plus souvent comme auto-entrepreneurs. On assiste ainsi dans certains secteurs, à une « freelancisation » du marché du travail.
La digitalisation permet également de s’affranchir des frontières fiscales. Ainsi, depuis 2011, l’administration fiscale française, à l’instar de la plupart des administrations européennes (sauf de celles qui bénéficient dus système), reproche à Google de pratiquer les méthodes dites du « double irlandais » et du « sandwich néerlandais »: seule une base fiscale dérisoire est déclarée en France alors que dans le même temps la très grande partie des bénéfices est soumise à la domiciliation fiscale de Google à savoir l’Irlande (et son taux d’IS à 12.5%) via les Pays-Bas pour ensuite partir en transit vers un paradis fiscal (les Bermudes) où Google a fixé le siège social de sa filiale irlandaise. Le Fisc réclame ainsi à Google 1.6 milliard d’euros d’impayé fiscal.
Ubérisation ne rime donc pas avec domiciliation et de fait avec fiscalisation. En pilotant leur activité à partir d’une domiciliation étrangère (facilitant ainsi des mécanismes d’optimisation fiscale), ces entreprises cherchent à échapper à leurs obligations : TVA , taxe de séjour, impôts sur les sociétés, .. en septembre 2015, on estimait à près de 715.000 le nombre de sites de e-commerce exerçant en Europe… et à moins d’un millier le nombre d’inscrits auprès du fisc français.
Une commission du Sénat avait déjà chiffré à plus de 50 milliards le montant de l’évasion fiscale en 2012 mais cette évaluation apparait bien en deçà de la réalité : le manque à gagner sur la seule collecte de la TVA dépasse le 30 milliards d’euros ! Selon une étude de l’OCDE (étude prudente au regard de la fourchette des évaluations et qui démontre les difficultés à chiffrer le manque à gagner …), chaque année, les pratiques d’optimisation fiscale des multinationales feraient perdre entre 90 et 210 milliards d’euros aux Etats, soit entre 4 et 10% des revenus mondiaux de l’impôt sur les sociétés !
Pour « La vieille économie« , que faire ? … s’adapter ou disparaître
Le mouvement est inéluctable et on ne peut arrêter et maîtriser ce qui ressemble à un tsunami avec de simples digues de sable. Faute d’une véritable cohérence fiscale dans l’UE où les pays membres cherchent souvent à jouer leur carte personnelle, ce sont les Etats eux-mêmes qui cherchent à minimiser les pertes fiscales … en quelques sorte, un exercice d’optimisation fiscale à l’envers.
Certains pays ont ainsi ouvert des négociations avec les géants du Web. Le Royaume-Uni a obtenu de Google en 2016 le remboursement de 172 millions d’euros d’arriérés d’impôts … pour la période 2005/2015.
Mais ce type de pratique semble bien dérisoire, surtout que d’après une étude menée par l’entreprise chinoise Huawei, le numérique devrait représenter une économie de 23 000 milliards de dollars à l’horizon 2025.
L’OCDE, quant à elle, cherche à imposer de la transparence en obligeant les entreprises à préciser leurs résultats et leurs charges fiscales pays par pays … des pouvoirs publics qui semblent bien démunis.
Les entreprises, également, s’organisent ; ainsi, sur le champ de bataille le plus symbolique, lieu de naissance de l’ubérisation , à savoir le marché du transport par taxis, ces derniers ont choisi de lutter contre « l’envahisseur » à partir de ses propres armes en recourant à la plateforme web de réservation d’une start-up française YUSO .
En quelques années, ces GAFA, NATU ou autres licornes ont développé des capitalisations qui sont supérieures aux PIB de pays entiers ! Jamais l’histoire économique n’avait connu des mouvements de croissance aussi importants et rapides. En s’affranchissant des frontières physiques et donc de toute forme de régulation, ces entreprises fonctionnent comme des espèces de « trous noirs » : elles se développent en absorbant l’énergie économique des Etats et en la dévitalisant.
L’ubérisation sauvage et non régulée semble en effet comporter tous les ingrédients et les germes annonciateurs d’une « création destructrice ».
En transformant notre société et en installant des logiques de rapports de force sur les marchés, cette nouvelle économie de « la Tech » fait apparaître le nécessaire grand chantier qu’est la mise en place d’un nouveau contrat social et sociétal tel que l’annonçait déjà RIFKIN en 1995.