La fin de l’avantage concurrentiel durable … une fin stratégique en soi ?
Par G.Lécrivain – Lesclefsdumanagement.com – 28 mars 2020
Les clefs du management, votre espace de ressources en management organisationnel et stratégique.
La fin de l’avantage concurrentiel durable … une fin stratégique en soi ?
Par G.Lécrivain – Lesclefsdumanagement.com – 28 mars 2020
L’ouvrage de Michael PORTER, « l’avantage concurrentiel », publié en France en 1986, a révolutionné et modernisé l’analyse stratégique. Les nouvelles références et les grilles de lecture proposées dans ce livre par Porter ont permis de décoder, d’analyser et de guider la réflexion stratégique.
Une trentaine d’années après, Porter et sa bible de la stratégie sont, à l’image de très nombreux marchés : renversés et piétinés au point de considérer son approche par le positionnement stratégique comme obsolète.
La fin de l’avantage concurrentiel durable ? … Genèse d’une révolution et d’une contre révolution stratégiques …
Avant … le positionnement stratégique pour constituer un avantage concurrentiel durable
L’ouvrage de Michael PORTER, « L’avantage concurrentiel », publié en 1986, a accompagné la formation en stratégie de générations d’étudiants ainsi que la réflexion stratégique des entreprises lors de ces trente dernières années : à partir d’un diagnostic externe et interne, l’entreprise devait alors notamment définir la stratégie générique (domination par les coûts, différenciation ou focalisation) à développer sur ses différents domaines d’activités (DAS ou domaines d’activité stratégiques) pour construire un avantage concurrentiel.
L’enjeu pour l’entreprise est alors de rendre durable cet avantage concurrentiel, en particulier par l’installation de barrières à l’entrée, et, ou, à la sortie du marché. En faisant ainsi perdurer son avantage compétitif, l’entreprise dispose d’une rente sur le marché… mais une rente qui ne peut exister et perdurer que si les sources de cet avantage sont difficilement imitables et que les règles du jeu et du fonctionnement du marché ne connaissent pas de ruptures brutales.
Sous ces conditions, le jeu concurrentiel s’exerce alors sur quatre champs possibles :
Au niveau opérationnel, dans le cadre de la mise en place et du pilotage de la stratégie, l’organisation devait alors activer et aligner en cohérence sept clés de la réussite (le modèle des 7S de PETERS et WATERMAN du cabinet Mc KINSEY – « Le prix de l’excellence » – 1982).
Maintenant et demain … l’intention stratégique pour cumuler et faire succéder les avantages concurrentiels non durables.
Cette conception de la stratégie basée sur le positionnement (positionner une stratégie au regard du contexte environnemental), initiée au début des années 1950 par Igor ANSOFF et prolongée par Michael PORTER va donc progressivement apparaître inadaptée : les turbulences environnementales croissantes et en particulier les ruptures technologiques vont rendre rapidement caduques ces forteresses stratégiques représentées et symbolisées par l’avantage concurrentiel et les barrières à l’entrée d’un marché.
La chrono-compétition (STALK) et en particulier la chrono-innovation vont en effet redéfinir les règles et les logiques du jeu concurrentiel. Terminé le diktat du « big is beautiful » et place à de nouveaux entrants, qui en disruptant les marchés « de la vieille économie » vont, en l’espace de quelques mois transformer les effets d’expérience et les modèles d’affaires classiques en champs de ruines. Les nouvelles règles de la compétition (« l’hyper-compétition » comme le définira Richard D’AVENI) et les nouveaux 7S se jouent désormais sur la vitesse, l’effet de surprise et le changement brutal des règles du jeu … place à « l’intention stratégique ».
Dans un tel contexte, l’avantage concurrentiel durable devient un objectif et un pari stratégiques impossibles à tenir. Les ruptures technologiques, l’ubérisation qui touchent tous les secteurs économiques sont autant de tsunamis qui submergent et balayent actuellement les marchés. Le nouvel enjeu pour les entreprises devient alors de créer et d’investir en continue des espaces stratégiques vierges quitte à délaisser une position dominante. En effet, plus souvent tôt que tard, l’hyper-compétition et ses corollaires menaceront cette position dominante : l’océan bleu se transformant rapidement en océan rouge (Chan KIM et Renée MAUBORGNE – « La stratégie de l’océan bleu », 2010).
Par des logiques de « sauts de puce », à l’entreprise d’innover et de créer continuellement des espaces stratégiques vierges pour capitaliser dans le temps des rentes provisoires et disposer durablement d’avantages concurrentiels …non durables.
La démarche stratégique et la défense d’un avantage concurrentiel durable, un avant et un après ? … ou une démarche duale, fonction du caractère et du degré de sensibilité du marché face aux évolutions environnementales ?
« A long terme, nous sommes tous morts » déclarait l’économiste John Maynard KEYNES. En est-il de même pour les entreprises et pour la notion d’avantage concurrentiel ? Quelques empires industriels et commerciaux semblent pourtant évoluer sur leur marché comme dans un éternel bain de jouvence : Coca-Cola (129 ans), General Electric (123 ans), Disney (91 ans), … La plus vieille entreprise française, quant à elle, Saint Gobain (350 ans et comptant désormais 180 000 salariés répartis dans 67 pays) a été créée au 17ème siècle par Colbert.
Ces entreprises, seraient-elles les « derniers dinosaures », symboles d’une espèce organisationnelle et stratégique en voie de disparition ? Ou y aurait-il donc « une vieille économie » à laquelle s’appliquerait encore parfaitement les principes porteriens et en particulier la quête et la défense stratégiques d’un avantage concurrentiel durable et, en face, « une nouvelle économie » soumise au nouveau paradigme stratégique de « l’hyper-compétition » ?
Dans ce nouveau contexte d’hyper-compétition (Richard d’AVENI) , l’entreprise doit chercher à prendre de vitesse ses concurrents, à disrupter pour modifier en permanence les règles du jeu. Ainsi, sur des marchés en tension permanente, l’objectif est davantage de détruire les avantages de l’adversaire que de créer et consolider son propre avantage concurrentiel durable.Dans un tel contexte, disposer d’un avantage concurrentiel à long terme ne peut alors résulter que de la capacité à construire des avantages temporaires et à réinstaller sans cesse les conditions d’une cohérence organisationnelle.
La « vieille économie », en quête d’un avantage concurrentiel durable est, elle-même soumise aux nouvelles règles du jeu de l’hyper-compétition :
Peter Ducker, l’un des grands gourous du management et symbole de l’ « ancienne économie » déclarait déjà, il y a plusieurs décennies, qu’ « une organisation doit être conçue pour le changement, pour créer le changement plutôt que de réagir au changement ».
C’est le même Peter Drucker qui insistait sur la nécessaire mise en cohérence entre la stratégie et la structure (« La bonne structure organisationnelle est un prérequis à la performance »). Cette cohérence et cet alignement organisationnels sur une stratégie en constant reformatage mettent en avant le rôle clef des capacités de changement de l’organisation et en premier lieu les capacités d’adaptabilité et de pro-action des ressources humaines.
Dans cette nouvelle ère de l’hyper-compétition, ces capacités sont devenus la source et la ressource première de la trajectoire d’une performance durable pour les organisations.